Que dire de ce “One Big Beautiful Bill” que se sont offert récemment nos amis américains? Un tel lyrisme ne se retrouve guère au Québec ni au Canada; il est même presque inimaginable. Et pourtant, Washington vient d’adopter une vaste loi qui ajoute 68,3 milliards $ sur dix ans au filet de sécurité agricole des États‑Unis, assortie d’un éventail d’avantages fiscaux, d’extensions de superficies de base et d’un soutien accru à l’assurance‑récolte. De quoi faire cligner deux fois des yeux un producteur canadien de grains, pousser un soupir et envisager la retraite.
Au Canada, je critique depuis quarante ans nos filets de sécurité agricoles. Comparée à cette dernière initiative des États‑Unis, la conclusion est évidente : tandis que les Américains suralimentent leur secteur agricole avec une longue liste de bonbons, nos programmes demeurent, eux, passablement anémiés.
Prenons l’assurance‑récolte. Les États‑Unis viennent d’injecter 6,3 milliards $ supplémentaires sur dix ans dans leurs programmes, notamment en rehaussant la part des primes subventionnées pour les produits complémentaires et même en prévoyant des dispositions particulières pour les éleveurs de volaille. Au Canada, l’assurance‑récolte (version fédérale‑provinciale) est plus stable, mais rarement digne de la une. Les producteurs de maïs et de soya de l’Ontario comptent beaucoup sur l’Assurance‑production, dont la couverture est correcte, sans toutefois avoir jamais été qualifiée de “magnifique”. Malheureusement, elle n’a pas de composante fédérale – tous les gouvernements depuis Chrétien l’ont refusée.
Il y a ensuite Agri‑stabilité — ce pilier souvent décrié de l’ensemble de gestion des risques d’entreprise (GRE) du Canada. Le programme est censé intervenir lorsque les marges plongent, mais des années de compressions et de récupérations ont découragé la majorité des producteurs. Ottawa et les provinces ont bien relevé le taux d’indemnisation et supprimé la limite de marge de référence, mais beaucoup soutiennent que cela n’équivaut toujours pas à la précision ni aux garanties de paiement intégrées aux programmes ARC et PLC américains, désormais dotés de prix de référence plus élevés et d’hectares de base élargis. Voilà de l’argent bien réel associé à de vrais risques — structuré de manière que les producteurs américains saisissent immédiatement.
Côté fiscal, l’écart devient encore plus flagrant. Le texte américain pérennise la déduction de 20 % sur le revenu d’entreprise, fait passer la déduction immédiate de la section 179 à 2,5 millions $, et offre des amortissements bonifiés pour tout, des tracteurs aux usines de transformation. Ils ont même remanié les règles sur les gains en capital afin de faciliter le transfert des terres agricoles et porté l’exonération successorale à 30 millions $ pour les couples d’agriculteurs. Essayez donc de mentionner cela dans un atelier canadien sur la relève agricole : on se croirait dans la science‑fiction.
Les outils fiscaux canadiens — comme l’exonération des gains en capital sur les biens agricoles admissibles ou le report d’impôt sur les bons de livraison de grain — sont utiles, mais loin d’être aussi solides ou visionnaires. Il n’existe certainement pas de déduction bonifiée permanente de 100 % pour les silos ou les pulvérisateurs, et les règles de transfert intergénérationnel, bien qu’elles aient été révisées récemment, n’égalent toujours pas la souplesse désormais accessible au sud de la frontière.
Le plus révélateur est peut‑être le degré d’idéologie qu’incarne la loi américaine. Elle sert quantité de “viande rouge” à l’Amérique rurale : indemnités plus généreuses pour les pertes de bétail, nouveaux hectares de base et fonds accrus pour la promotion des exportations. Mais elle s’accompagne aussi de coupes profondes dans Medicaid et SNAP (bons d’alimentation), déclenchant des tempêtes partisanes. Les républicains de la Chambre y voient un triomphe pour la prospérité rurale; les démocrates, un cadeau aux milliardaires. À l’inverse, les dépenses agricoles canadiennes, mis à part la gestion de l’offre, tendent à reposer sur le consensus et le compromis. Personne, au Canada, ne sabre dans la santé publique pour financer les programmes agricoles.
Cela ne signifie pas que le Canada ne dépense pas pour l’agriculture. Le Partenariat canadien pour une agriculture durable (PCAAD) actuel, d’une durée de cinq ans, prévoit 3,5 milliards $ de programmes à coûts partagés et 1 milliard $ supplémentaires financés uniquement par le fédéral. Cela semble considérable — jusqu’à ce qu’on réalise que c’est moins que ce que les États‑Unis consacreront désormais aux seules améliorations de l’assurance‑récolte. Le PCAAD vise davantage des objectifs environnementaux, l’innovation et la compétitivité que de réels paiements de gestion des risques. Cela peut servir un programme politique plus large, mais ne renfloue pas directement le filet de sécurité des producteurs.
Le contraste entre les deux approches en dit long. Les agriculteurs américains obtiennent des programmes qui agissent comme une assurance‑revenu, guidés par la politique, le lobbying sectoriel et le calcul électoral. Les producteurs canadiens, eux, sont encouragés à innover, à s’adapter et à extraire de la valeur de marges de GRE de plus en plus étroites. C’est la différence entre être suralimenté et se faire dire de patienter.
Où cela nous laisse‑t‑il? Essentiellement à observer. Le One Big Beautiful Bill rappelle que les gouvernements peuvent prendre des décisions audacieuses pour les agriculteurs lorsqu’ils le souhaitent — surtout si le calcul politique s’y prête. Au Canada, notre version de l’audace se résume à un communiqué bien tourné et à la promesse de consulter les intervenants l’an prochain. C’est acceptable, à condition d’y être habitué. Mais ne croyez pas que les agriculteurs canadiens ne voient pas les Américains encaisser de plus gros chèques et amortir leurs silos pendant ce temps.
Quand on ajoute 3,4 billions $ supplémentaires sur dix ans à la dette en temps de paix et qu’on appelle cela magnifique, on joue un jeu dangereux. Par habitant, les États‑Unis accroissent leur dette à un rythme environ quatre à cinq fois supérieur à celui du Canada. Ce n’est pas une relance; c’est structurel, fondé sur l’espoir que les taux d’intérêt baissent et que l’économie demeure florissante. Si l’un ou l’autre vacille, eh bien, les marchés ont une façon bien à eux de s’en apercevoir.
Comme toujours, le défi pour les producteurs du Québec et du Canada est de composer avec notre propre réalité — façonnée par une politique prudente et un financement moindre, ce qui ne m’a jamais satisfait. Une veille quotidienne des marchés demeure essentielle, surtout lorsque l’écart politique entre le Canada et les États‑Unis se creuse. Malgré nos fondamentaux céréaliers, de nombreuses occasions de mise en marché s’offriront encore. Mais notre filet de sécurité canadien? N’espérez pas qu’il soit beau; il en est l’antithèse.
Que dire de ce “One Big Beautiful Bill” que se sont offert récemment nos amis américains? Un tel lyrisme ne se retrouve guère au Québec ni au Canada; il est même presque inimaginable. Et pourtant, Washington vient d’adopter une vaste loi qui ajoute 68,3 milliards $ sur dix ans au filet de sécurité agricole des États‑Unis, assortie d’un éventail d’avantages fiscaux, d’extensions de superficies de base et d’un soutien accru à l’assurance‑récolte. De quoi faire cligner deux fois des yeux un producteur canadien de grains, pousser un soupir et envisager la retraite.
Au Canada, je critique depuis quarante ans nos filets de sécurité agricoles. Comparée à cette dernière initiative des États‑Unis, la conclusion est évidente : tandis que les Américains suralimentent leur secteur agricole avec une longue liste de bonbons, nos programmes demeurent, eux, passablement anémiés.
Prenons l’assurance‑récolte. Les États‑Unis viennent d’injecter 6,3 milliards $ supplémentaires sur dix ans dans leurs programmes, notamment en rehaussant la part des primes subventionnées pour les produits complémentaires et même en prévoyant des dispositions particulières pour les éleveurs de volaille. Au Canada, l’assurance‑récolte (version fédérale‑provinciale) est plus stable, mais rarement digne de la une. Les producteurs de maïs et de soya de l’Ontario comptent beaucoup sur l’Assurance‑production, dont la couverture est correcte, sans toutefois avoir jamais été qualifiée de “magnifique”. Malheureusement, elle n’a pas de composante fédérale – tous les gouvernements depuis Chrétien l’ont refusée.
Il y a ensuite Agri‑stabilité — ce pilier souvent décrié de l’ensemble de gestion des risques d’entreprise (GRE) du Canada. Le programme est censé intervenir lorsque les marges plongent, mais des années de compressions et de récupérations ont découragé la majorité des producteurs. Ottawa et les provinces ont bien relevé le taux d’indemnisation et supprimé la limite de marge de référence, mais beaucoup soutiennent que cela n’équivaut toujours pas à la précision ni aux garanties de paiement intégrées aux programmes ARC et PLC américains, désormais dotés de prix de référence plus élevés et d’hectares de base élargis. Voilà de l’argent bien réel associé à de vrais risques — structuré de manière que les producteurs américains saisissent immédiatement.
Côté fiscal, l’écart devient encore plus flagrant. Le texte américain pérennise la déduction de 20 % sur le revenu d’entreprise, fait passer la déduction immédiate de la section 179 à 2,5 millions $, et offre des amortissements bonifiés pour tout, des tracteurs aux usines de transformation. Ils ont même remanié les règles sur les gains en capital afin de faciliter le transfert des terres agricoles et porté l’exonération successorale à 30 millions $ pour les couples d’agriculteurs. Essayez donc de mentionner cela dans un atelier canadien sur la relève agricole : on se croirait dans la science‑fiction.
Les outils fiscaux canadiens — comme l’exonération des gains en capital sur les biens agricoles admissibles ou le report d’impôt sur les bons de livraison de grain — sont utiles, mais loin d’être aussi solides ou visionnaires. Il n’existe certainement pas de déduction bonifiée permanente de 100 % pour les silos ou les pulvérisateurs, et les règles de transfert intergénérationnel, bien qu’elles aient été révisées récemment, n’égalent toujours pas la souplesse désormais accessible au sud de la frontière.
Le plus révélateur est peut‑être le degré d’idéologie qu’incarne la loi américaine. Elle sert quantité de “viande rouge” à l’Amérique rurale : indemnités plus généreuses pour les pertes de bétail, nouveaux hectares de base et fonds accrus pour la promotion des exportations. Mais elle s’accompagne aussi de coupes profondes dans Medicaid et SNAP (bons d’alimentation), déclenchant des tempêtes partisanes. Les républicains de la Chambre y voient un triomphe pour la prospérité rurale; les démocrates, un cadeau aux milliardaires. À l’inverse, les dépenses agricoles canadiennes, mis à part la gestion de l’offre, tendent à reposer sur le consensus et le compromis. Personne, au Canada, ne sabre dans la santé publique pour financer les programmes agricoles.
Cela ne signifie pas que le Canada ne dépense pas pour l’agriculture. Le Partenariat canadien pour une agriculture durable (PCAAD) actuel, d’une durée de cinq ans, prévoit 3,5 milliards $ de programmes à coûts partagés et 1 milliard $ supplémentaires financés uniquement par le fédéral. Cela semble considérable — jusqu’à ce qu’on réalise que c’est moins que ce que les États‑Unis consacreront désormais aux seules améliorations de l’assurance‑récolte. Le PCAAD vise davantage des objectifs environnementaux, l’innovation et la compétitivité que de réels paiements de gestion des risques. Cela peut servir un programme politique plus large, mais ne renfloue pas directement le filet de sécurité des producteurs.
Le contraste entre les deux approches en dit long. Les agriculteurs américains obtiennent des programmes qui agissent comme une assurance‑revenu, guidés par la politique, le lobbying sectoriel et le calcul électoral. Les producteurs canadiens, eux, sont encouragés à innover, à s’adapter et à extraire de la valeur de marges de GRE de plus en plus étroites. C’est la différence entre être suralimenté et se faire dire de patienter.
Où cela nous laisse‑t‑il? Essentiellement à observer. Le One Big Beautiful Bill rappelle que les gouvernements peuvent prendre des décisions audacieuses pour les agriculteurs lorsqu’ils le souhaitent — surtout si le calcul politique s’y prête. Au Canada, notre version de l’audace se résume à un communiqué bien tourné et à la promesse de consulter les intervenants l’an prochain. C’est acceptable, à condition d’y être habitué. Mais ne croyez pas que les agriculteurs canadiens ne voient pas les Américains encaisser de plus gros chèques et amortir leurs silos pendant ce temps.
Quand on ajoute 3,4 billions $ supplémentaires sur dix ans à la dette en temps de paix et qu’on appelle cela magnifique, on joue un jeu dangereux. Par habitant, les États‑Unis accroissent leur dette à un rythme environ quatre à cinq fois supérieur à celui du Canada. Ce n’est pas une relance; c’est structurel, fondé sur l’espoir que les taux d’intérêt baissent et que l’économie demeure florissante. Si l’un ou l’autre vacille, eh bien, les marchés ont une façon bien à eux de s’en apercevoir.
Comme toujours, le défi pour les producteurs du Québec et du Canada est de composer avec notre propre réalité — façonnée par une politique prudente et un financement moindre, ce qui ne m’a jamais satisfait. Une veille quotidienne des marchés demeure essentielle, surtout lorsque l’écart politique entre le Canada et les États‑Unis se creuse. Malgré nos fondamentaux céréaliers, de nombreuses occasions de mise en marché s’offriront encore. Mais notre filet de sécurité canadien? N’espérez pas qu’il soit beau; il en est l’antithèse.