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Commercialisation de votre grain : surveillez vos émotions

27 mars 2023, Philip Shaw

Les dernières semaines ont été plutôt froides et misérables dans le sud-ouest de l'Ontario, mais j'ai vu les premiers signes du printemps avec des tracteurs et des remorques roulant près de ma ferme alors qu’ils se dirigeaient vers Dresden, en Ontario. Il y a quelque chose dans le grondement des remorques à grains vides que je déteste. Quand je les tire, moi-même, ça sonne généralement beaucoup mieux, car cela signifie que j'ai livré mon grain. Cependant, quand je les entends passer vides à l'automne et que je ne peux pas battre pour une quelconque raison, il n'y a pas de pire son. Ce grondement signifie que je prends du retard de minute en minute. Espérons que ces types vendaient du soya à plus de 20 $ le boisseau (735 $CAN/tonne). Cela vaut un grondement à n'importe quel jour.

À l'heure actuelle, en Ontario et au Québec, le maïs de la nouvelle récolte est à environ 7 $ le boisseau (275 $CAN/tonne) et le soya à 16,73 $ le boisseau (615 $CAN/tonne). Historiquement parlant, ce sont de très bons prix. Mais bien sûr, à quoi se réfère-t-on historiquement? Je suis sûr qu'il y a beaucoup d'agriculteurs de l'Ontario et du Québec qui ont vendu du maïs à 9 $ ou 10 $ (354-394 $CAN/tonne) au cours des deux dernières années et du soya à plus de 20 $ (735 $CAN/tonne) et qui ne pensent pas que les prix actuels sont bons. Étant moi-même agriculteur, je comprends tout à fait. Parfois, mes propres préjugés émotionnels peuvent affecter mes décisions de commercialisation pour la nouvelle récolte.

C'est particulièrement ce que je ressens lorsque je discute de mise en marché avec mes amis non agriculteurs. Ils entendent les prix de ma voix, et ils me disent qu'ils vendraient immédiatement en fonction de l'historique. J'y pense toujours, et parfois, je suis d'accord avec eux sur le plan intellectuel. Mais j'ai toujours du mal à me décider. Un bon exemple serait le prix du blé SRW 2023 en Ontario et au Québec. L'année dernière, certains agriculteurs de l'Ontario et du Québec ont vendu du blé à plus de 15 $ le boisseau (550 $CAN/tonne) en raison d'une flambée des prix du marché survenue après le déclenchement de la guerre entre l'Ukraine et la Russie. La seule façon dont vous auriez pu obtenir ce prix et même plus était de passer un ordre de vente ouvert à votre acheteur. C'était si rapide, comme un clin d'œil. Aujourd'hui, la meilleure option qui m'est offerte pour mon blé de la nouvelle récolte est 8,24 $ le boisseau (300 $CAN/tonne)...

Dois-je accepter ce prix? NON! Ha ! Je tiens bon pour 15 $ ! C'est du moins ce que je ressens inconsciemment au fond de mon esprit. De façon réaliste cependant, je dois revoir mes préjugés et bien apprécier à quel marché j'ai affaire. Souvent, les différences entre les marchés pour l'ancienne récolte et la nouvelle récolte sont flagrantes. 2023 n'est pas différent à cet égard.

En tant qu'agriculteur, je constate bien le phénomène. Par exemple, le maïs de l'ancienne récolte peut être vendu aujourd'hui dans les silos de l'Ontario pour environ 7,73 $ le boisseau (304 $CAN/tonne). Le soya de l'ancienne récolte peut être vendu plus de 19 $ le boisseau (698 $CAN/tonne). Du côté du maïs, l'ancienne récolte est supérieure d'environ 0,80 $ (31,5 $CAN/tonne) à la nouvelle récolte. Du côté du soya, l'ancienne récolte est supérieure d'environ 3,20 $ (117,5 $CAN/tonne) à la nouvelle récolte. Les prix au Québec seraient similaires, mais probablement plus élevés en raison de la base locale.

C'est comme ça, considérant tous les facteurs du marché local et les risques qu'il y a d'ici à l'automne prochain avant de franchir la ligne d'arrivée avec une autre récolte pour le moment bien "théorique". D'une manière générale, les marchés de l'ancienne récolte et de la nouvelle récolte, en particulier à cette période-ci de l'année, sont des réalités totalement différentes.

Le défi pour les agriculteurs du Québec et de l'Ontario est de déterminer comment le marché pour la nouvelle récolte se comportera. En ce qui concerne le maïs et le soya, il est utile de tenir compte de la saisonnalité du marché à cet égard. Souvent, le maïs de la nouvelle récolte atteint son maximum à la mi-juin et le soya atteint son maximum au début de juillet. C'est souvent un moment idéal pour conclure de nouveaux contrats pour la récolte. Cependant, et c'est un gros problème, parfois les prix des récoltes ne suivent pas ce scénario. Il y a aussi cette saisonnalité sud-américaine. C'est l'une des raisons pour lesquelles les informations quotidiennes sur le marché sont essentielles, car en 2023, en particulier avec la guerre qui se déroule dans l'un des greniers du monde, les fondamentaux des grains peuvent être de travers. C'est exactement ce que nous avions en 2022.

Cela peut sembler difficile à comprendre pour de nombreux agriculteurs. Cependant, cela devient encore plus difficile pour les agriculteurs québécois et ontariens en raison de la valeur du dollar canadien. À l'heure actuelle, le dollar canadien se situe à environ 0,7352 US. C'est historiquement très bas et cela mène à de grandes valeurs de bases canadiennes. Cependant, si cela changeait soudainement et que le dollar revenait à 85 cents américains d'ici quatre à cinq mois, nos prix au comptant pour le grain en Ontario baisseraient beaucoup. Bien sûr, cela dépendrait également de l'évolution des prix à la bourse de Chicago. Inutile de dire que c'est un défi de gestion ou même un casse-tête de gestion pour les agriculteurs du Québec et de l'Ontario qui consiste à équilibrer les risques des marchés à terme avec les risques de change qui affectent profondément nos prix de grains locaux. Nos amis américains tiennent rarement compte des devises étrangères dans leurs plans de commercialisation des récoltes.

Il y a tellement plus à cela, mais tout ça à beaucoup à voir avec votre propre perception de ce que devraient valoir les prix des grains. Par exemple, l'automne dernier, vous pouviez vendre du maïs sorti de la batteuse pour 8,60 $ le boisseau (338,5 $CAN/tonne). Au Québec, c'était encore plus élevé. C'est presque un dollar (40 $CAN/tonne) de plus que la valeur actuelle du maïs en Ontario. Une partie de ça est liée aux effets du taux de change, une autre non. Cependant, tout est risqué et c'est quelque chose auquel les agriculteurs de l'Est du Canada sont confrontés chaque jour lorsqu'ils décident d'établir le prix de leurs récoltes. Ce n'est pas parce que ces nouveaux silos brillent sous le soleil de fin d'automne qu'ils doivent être remplis.

Ce n'est pas pour les âmes sensibles, mais bien sûr, pour beaucoup d'entre nous, nous sommes faits pour y faire face. Sortir nos préjugés personnels et nos émotions liées à la commercialisation des grains sera toujours un défi pour la plupart d'entre nous. Ce l'est certainement pour moi. Avoir des ordres de vente déjà fixés avec votre acheteur de grains peut aider. Au moins, ceci apporte un peu de support et de stabilité dans une mise en marché qui repose sur des sables mouvants.

Bien sûr, il y a aussi cette portion énervante de la mise en marché où vous estimez à quel point vous êtes à l'aise d'en vendre une partie à l'avance à un moment de l'année où elle n'est encore que le fruit de votre imagination. C'est la réalité qui prévaut en ce moment pour beaucoup d'entre nous alors que les vents froids de fin mars soufflent. Gardez à l'esprit que ce champ de soya couvert de neige au fond de votre esprit deviendra un jour jaune doré et vert. Il pourrait même y avoir quelques mauvaises herbes. Et il est probable que vous aurez à vendre ce soya. Surveillez vos émotions de près. La ligne de départ pour le début des ensemencements sera là avant même que vous ne l'ayez vu.


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