Nouvelles Philip Shaw

Prix des grains élevés, alors qu'ils devraient être plus bas

05 octobre 2020, Philip Shaw

J'ai pris quelques photos aujourd'hui de mon blé d'hiver qui émerge d'un champ qui aurait dû être cultivé depuis longtemps. Dans l'extrême sud-ouest de l'Ontario, la superficie de blé d'hiver dépend en grande partie de la possibilité que nous donne dame nature de le semer. Cette année, j'ai eu la chance de pouvoir semer plus de la moitié de ma superficie en octobre. Cependant, aujourd'hui, alors que la foudre s'est abattue à partir l'ouest, j'ai été chassé de mon champ où je semais mon blé par la pluie et la grêle. Parfois, dame nature ne nous facilite pas la tâche.

Il reste encore pas mal de temps pour semer mon blé. Sur mon terrain en argile lourde, la rotation des terres est importante et quand vous manquez une année de blé, cela rend les choses plus difficiles. En 2019, je n'avais pas de blé et, à l'automne 2020, j'essaie de rattraper le temps perdu. Je prévois d'avoir plus de blé que jamais en 2021. Tout dépendra du moment où la pluie cessera de tomber.

Cela arrivera toujours. Par contre, les mouvements inhabituels des prix des grains auxquels vous ne vous attendez pas ne sont pas chose courante. C'est ce que nous avons constaté la semaine dernière grâce au temps sec au Brésil et à un rapport surprenant du USDA, qui a admis que la récolte de 2019 n'était pas conforme à ce qu'ils avaient annoncé.

Le 30 septembre, le USDA a publié son rapport sur les stocks de grains américains au 1er septembre. Le USDA a annoncé qu'il y avait 2 milliards de boisseaux de stocks de maïs et 523 millions de boisseaux de stocks de soya. Ces deux chiffres étaient nettement inférieurs aux prévisions des marchés. Le USDA a réduit la production de soya de 2019 de 333 000 boisseaux, tout en laissant la superficie récoltée inchangée. La production de maïs de 2019 a aussi légèrement augmenté. Le chiffre des stocks de maïs était d'environ 248 millions de boisseaux de moins que prévu. Les prix des grains ont flambé à l’annonce de ces chiffres.

L'autre partie de l'équation était la demande chinoise beaucoup plus importante pour le soya américain et la sécheresse en Argentine et au Brésil. Il y a aussi le spectre d'un retour de La Nina qui risque de se manifester de nouveau pendant la saison en Amérique du Sud. Ajoutez à cela la demande non commerciale qui s'est accrue dans le secteur du soya et vous obtenez une tempête parfaite, du moins la semaine dernière, qui a fait grimper les prix des grains.

En Ontario et au Québec, cela signifie 5 $/bo. (197 $/tm) pour du maïs et 13 $/bo. (478 $/tm) pour du soya directement sorti de la batteuse, des chiffres magiques pour les producteurs qui préfèrent des prix fixes. Comme vous le savez, je ne donne jamais mon avis sur le "quand" il faut fixer son prix pour son grain. Cependant, j'ai lu de nombreux commentaires cette semaine sur des types qui pensent qu'ils ont fixé leurs prix trop tôt. J'ai même reçu des appels d'analystes canadiens qui devraient être mieux informés. Je ne sais toujours pas où vont les prix des grains, mais vous ne pouvez rien exclure. Plongez-vous dans les informations du marché et préparez vos ordres de vente sans regarder en arrière. 

Quand on y pense vraiment, la gestion des risques est une chose amusante parfois. Si l'on considère la saisonnalité des prix des grains, on constate qu'à l'heure actuelle, nous devrions avoir les prix les plus bas de l'année. Or, nous avons les prix les plus élevés de l'année, à moins que le mois de décembre ne nous surprenne encore davantage ! En même temps, les photos que j'ai prises de la levée du blé doivent passer par quatre saisons différentes pour que je puisse en tirer une quelconque récompense. Ces risques sont élevés, mais dans le monde agricole, nous considérons que c'est normal. Ajoutez à cela le drainage et toute une série d'autres options de gestion des cultures pour les maintenir en vie jusqu'en juillet prochain et l'investissement est réel. Il y a beaucoup plus à faire pour cultiver du blé que de juste cultiver le blé lui-même.

Lorsque vous combinez les risques, cela fait beaucoup. Au Québec et en Ontario, une partie de nos risques de production sont couverts par un assez bon système d'assurance récolte. Cependant, les risques liés aux revenus ne le sont toujours pas, même si les Grain Farmers of Ontario exercent une forte pression. La semaine dernière, ils se sont associés au Conseil céréalier de l'Atlantique et aux Producteurs de grains du Québec dans une campagne commune visant à sensibiliser le public canadien aux conséquences de la concurrence sur ce marché avec des subventions déloyales accordées à nos concurrents américains.

J'espère qu'ils auront du succès. Cela fait plus de 30 ans que je me démène pour écrire cette chronique et que je dirige de nombreuses manifestations depuis 15 ans dans tout l'Ontario. Il va sans dire qu'il est temps que les jeunes prennent la relève. S'ils veulent me mettre un jour au rancard, je suis tout à fait d'accord. Il va sans dire qu'obtenir un filet de sécurité agricole canadien qui fonctionne reste une grande priorité après tout ce temps.

En attendant, j'espère que la pluie s'arrêtera et que je pourrai retourner à ma moissonneuse-batteuse. 13 $ pour du soya et 5 $ pour du maïs, ça ne ment pas. 2020 a été une année hallucinante, à bien des égards, même sans parler de ce virus qui continue à sévir. À mesure que nous avançons, notre horizon de gestion des risques va s'élargir. Un temps un peu plus sec au Brésil rendrait la chose encore plus intéressante. En fin de compte, il s'agit des décisions que nous prenons dans nos exploitations. L'intelligence de mise en marché au quotidien restera la clé. Supprimer progressivement ce risque au moment opportun ne sera jamais démodé.

 


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