Il s’agit d’une situation sans précédent, très instable. La distanciation sociale est pour moi très facile puisque je cultive seul. Cependant, lorsque des gens se présentent, ça me semble tellement étrange de m’assurer de conserver une distance de 2 mètres. Alors que le temps passe, en essayant d’aplatir la courbe, le monde vacille pour tellement de choses que nous n’aurions jamais pu nous imaginer. Ce qui était à la hausse est maintenant à la baisse, et vice versa. Les suppositions changent continuellement comme elles le devraient avec un ennemi invisible qui a tué plus de 41 000 Américains et 1 000 Canadiens. Au Québec, en date du 20 avril, il y a 19 319 cas de COVID-19. Pas besoin de le dire, les projections de mortalités s’ajoutent à ces temps difficiles.
C’est difficile sur la ferme, beaucoup plus que je m’y attendais, et c’est surtout en lien avec notre système d’offre alimentaire. Jadis (pre COVID), il y avait toujours la supposition que la demande alimentaire était la grande constante. Combien de fois avez-vous entendu un producteur dire, les gens doivent manger, alors le monde aura toujours besoin de producteurs. Cependant, avec le COVID-19 qui a frappé, nous voyons des fils d’attentes dans les épiceries, quelques étagères vides et un changement massif de la demande des consommateurs en dehors de la maison. Ajouté à ça les problèmes dans le marché de l’énergie et vous avez un marché pour les commodités agricoles local qui est bousculé comme jamais auparavant.
En avril, nous avons tous été témoins en Ontario de lait qui a été jeté, incapable d’être écoulé dans le marché des services alimentaires (restauration) qui a fait face à une chute de la demande alors que les consommateurs restent à la maison. Ceci est survenu partout dans la grande région de production agricole Nord-Américaine. Puis il y a les transformateurs alimentaires qui ralentissent ou cessent leurs activités tous ensemble parce que leurs travailleurs tombent malades du Covid-19. Les transformateurs de l’ensemble des États-Unis chancellent, créant encore plus d’anxiété d’offre alors que les animaux doivent aller sur le marché, tout comme pour le lait. Cependant, tout ceci ne survient pas de manière uniforme. Le wagon de navet a été renversé.
La demande a brusquement changé pour les services alimentaires et restaurants vers la consommation à la maison. Par exemple, la demande en épicerie pour le lait est en forte hausse, mais celle pour les services alimentaires a plongé. Le système ne peut pas changer aussi rapidement, alors que le lait ne peut être entreposé très longtemps, qui a besoin d’être pasteurisé, etc., etc. Même chose dans une certaine mesure pour le bœuf, le porc et l’ensemble du secteur de la production animale. Les consommateurs en file indienne à distance de 2 mètres, créant de longues files d’attente, qui s’étire jusque dans les granges et champs de l’Amérique du Nord.
Les prix du maïs ont été frappés de plein fouet, et les perspectives ressemblent en quelque sorte à la troupe de danseurs sur le Titanic. Le mois dernier le USDA prévoyait que les ensemencements de maïs américain devraient atteindre cette année 97 millions d’acres. Au début avril, le USDA a présenté son dernier rapport d’offre et demande (WASDE), qui a révélé un recul de l’usage de maïs de 375 millions de boisseaux pour l’éthanol. La demande animale a aidé dans une certaine mesure alors qu’elle a été révisée en hausse de 150 millions de boisseaux. Cependant, avec les pleines répercussions du Covid relâché combiné à ses superficies important, les stocks de fin d’année de maïs pourraient facilement passer le cap du 3 milliards de boisseaux en 2020-21. Au 20 avril, l’échéance immédiate du pétrole à la bourse a passé en territoire négatif, ajoutant une pression sur les prix de l’essence et de l’éthanol. Je pense que quand je vais rentrer dans le champ demain, je vais juste continuer mon chemin.
Un vaccin pour le Covid aiderait. Tout pourrait entrer dans l’ordre et le monde serait meilleur. Nous pourrions probablement relancer l’économie le lendemain, et de meilleurs jours seraient de retour. Cependant, comme vous le savez tous, ce n’est pas si simple. L’économie non agricole a chuté et il n’y a pas de carte pour nous guider devant nous. Les trilliards et milliards de stimulus des gouvernements américain et canadien vont certainement aider. Les banques centrales impriment de l’argent comme des fous.
L’économie canadienne a perdu plus d’un million d’emplois en mars; un chiffre ahurissant comparé à ce qui était attendu. Ceci ne tient pas compte des personnes qui n’avaient pas des heures de payées, mais qui était toujours considéré comme à l’emploi. Plus de 17 millions d’Américains ont souscrit au chômage au cours des 4 dernières semaines. Pendant ce temps, l’argent coule à flots des deux gouvernements fédéraux pour payer les loyers et la nourriture à mettre sur la table pour beaucoup de gens en Amérique du Nord. Au 1er janvier 2020, nous n’aurions pas pu imaginer. Les changements ont été à la vitesse de l’éclair.
De retour sur les fermes de l’Ontario et du Québec, notre monde est plus difficile. C’est vrai que vous ayez à jeter du lait, ou que vous n’arriviez pas à obtenir des pièces d’équipement, ou que vous ne vous laviez pas les mains assez. Nous sommes des travailleurs essentiels à produire de la nourriture dans un marché bouleversé. Rien ne fonctionne à merveille, spécialement dans notre chaîne d’approvisionnement alimentaire. Faire passer la nourriture des portes de la ferme aux assiettes ne fonctionne plus. Les politiciens des gouvernements se cassent la tête, cherchant des moyens de donner des stratégies aux Canadiens pour rester en vie.
Ceci sera possiblement la partie la plus difficile, trouver une manière d’éviter le Covid-19. Pas besoin de vous dire, nous traversons une période sombre en ce moment. Nous avons eu un transformateur de volaille qui a fermé ses portes au début avril près de Brampton en Ontario. Où pensez-vous que ces poulets marqués à l’oreille pour être livrés là s’en vont? L’abattoir de porc d’Olymel à Yamachiche au Québec a été fermé dernièrement pour 14 jours avant de rouvrir. C’est difficile à croire. La demande alimentaire change de manière que nous n’aurions jamais pu l’imaginer. Notre gouvernement nous dit que ce sera comme ça jusqu’à l’été et peut-être jusqu’à l’an prochain. Si c’est le cas, la politique canadienne de nourriture à faible coût aura besoin d’un peu d’attention. Tout ce que nous connaissions est en train de se démanteler et tout se passe sous nous yeux.