Nouvelles Philip Shaw

Commercialisation des grains : l’heure est venue de réajuster nos objectifs

11 juillet 2017, Philip Shaw

Je suis encore au volant de mon pulvérisateur. En fait, j’ai l’impression de vivre dans mon pulvérisateur d’avril à juillet. Je suis assez vieux pour me rappeler l’époque où les agriculteurs ne faisaient pas beaucoup d’épandage. Puis, dans les années 60, tout a changé. Quelques herbicides efficaces ont fait leur apparition. Alors mon défunt père a acheté un petit pulvérisateur Calsa en acier et il a envoyé fiston se promener dans le champ. On connaît la suite.

Il va sans dire que les temps ont changé. À ce moment, je mélangeais un produit chimique rouge vif, le Treflan, qui, au contact de l’eau, devenait jaune. Habituellement, je devenais jaune aussi puisqu’on n’accordait pas encore vraiment d’importance à la sécurité relative à la manipulation des herbicides. Aujourd’hui, j’injecte les produits chimiques dans le réservoir d’épandage, j’entre les données dans le système de guidage et je laisse le contrôleur de débit faire son travail. Avec un peu de chance, tous ces produits chimiques m’aideront à obtenir une récolte exceptionnelle cette année.

Malheureusement, le printemps n’a pas été facile dans mon secteur du Sud-Ouest de l’Ontario. Alors je ne m’attends pas à une aussi bonne récolte que l’an passé. Mais il reste encore plusieurs semaines et j’espère être agréablement surpris par les conditions météo en septembre/octobre. Toutefois, j’écris des chroniques depuis 30 ans… je n’en suis pas à mes premières armes. Les problèmes créés par un printemps humide ne se résorbent pas rapidement d’habitude. 

Il est intéressant de constater que certaines des conditions météo printanières que j’ai vécues ici affectent les cultures aux États-Unis et que ça touche donc les prix du marché. La force majeure dans les marchés des grains au cours des dernières semaines n’a pas été le temps humide, mais plutôt la sécheresse dans les Dakotas qui a frappé le blé de printemps. Les prix des contrats à terme de ce blé ont monté en flèche avant de finalement reculer de 0,50 $. Ces prix ont été accentués par le rapport du 30 juin publié par le USDA, qui contenait quelques surprises.

Dans son rapport du 30 juin, le USDA a surpris le marché avec sa prévision d’une superficie de soja inférieure aux attentes du marché. L’ensemencement de soja aux États-Unis a été évalué à 89,51 millions d’acres, ce qui était très près de l’estimation de mars, mais le marché s’attendait à une révision à la hausse. Cette superficie est tout de même un record pour le soja et elle est supérieure de 7 % à la prévision de l’an dernier. Les attentes ont donc été déçues et les contrats à terme de soja ont grimpé en conséquence.

Les agriculteurs américains ont semé 90,89 millions d’acres de maïs selon le USDA, ce qui était supérieur aux attentes. Les stocks trimestriels de maïs sont évalués à 5,225 milliards de boisseaux, soit un demi-milliard de plus qu’il y a un an, ce qui est aussi supérieur aux attentes du marché. On peut dire que le rapport a été négatif pour le maïs, mais positif pour le blé et le soja.

Bien entendu, c’est arrivé à un moment où les contrats à terme de blé de printemps étaient à la verticale. Au moment d’écrire ces lignes, le contrat à terme de décembre pour le maïs est de 4,01 $/boisseau et celui de novembre pour le soja approche de 10 $/boisseau. Le prix du contrat à terme de septembre pour le blé tendre rouge d’hiver est de 5,35 $ et les prix au comptant en Ontario sont bien au-dessus de 6 $ CAN. Comme la récolte de blé est en cours en Ontario, cette hausse des prix arrive au bon moment. Cependant, ce que nous avons vu la semaine dernière est une énigme commerciale Ontario/Québec classique dans le monde agricole. Les prix des contrats à terme de maïs et du soja étaient en hausse alors que le huard grimpait au-dessus de 0,77 $ US. Le gouverneur de la Banque du Canada, envisageant une hausse des taux d’intérêt, a donné des ailes à la devise. Par conséquent, les prix au comptant offerts aux agriculteurs de l’Ontario et du Québec n’ont pas augmenté comme ils l’auraient fait il y a quelques semaines lorsque le dollar s’échangeait à 0,73 $. Ainsi va la vie.

Nous avons également vu le commerce international entre le Canada et le reste du monde atteindre des records en mai. En fait, les exportations canadiennes ont augmenté de 18 % au cours de la dernière année. Les choses tournent rondement et la situation exerce d’autant plus de pression sur la Banque du Canada en ce qui a trait à une augmentation des taux d’intérêt le 12 juillet. Une augmentation des taux d’intérêt augmenterait vraisemblablement à son tour la valeur du dollar canadien, engendrant ainsi un affaiblissement des prix des grains au Canada. 

Nous verrons bien. Le temps est encore chaud et sec dans l’ouest de la Corn Belt. Un collègue du Dakota du Sud m’a fait parvenir des photos de lui en train de presser son blé parce qu’il n’était pas assez beau pour la moissonneuse-batteuse. Je me suis donc demandé si Dame Nature a choisi 2017 pour nuire aux cultures et faire monter les prix en flèche. La réponse, personne ne la connaît. Il ne s’agit que d’une des raisons pour lesquelles l’agriculture peut être une activité risquée. J’ai eu un printemps difficile et je fais l’épandage dans mes champs maintenant pour tenter d’améliorer la situation, mais au bout du compte, rien de tout cela n’influence le marché.

Alors je continue tête baissée, je fais ce que j’ai à faire, je poursuis l’épandage, pour le moment. D’ici la fin de cette semaine, je pourrais même commencer la récolte du blé. Le rapport du USDA est maintenant chose du passé et le dollar canadien peut enfin respirer un peu; il est donc temps de penser à revoir notre commercialisation des grains et réajuster nos objectifs. Notre monde a changé, un peu plus que la normale au cours des deux dernières semaines.


 


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