Nouvelles Philip Shaw

L’apocalypse… ce n’est pas pour demain

30 avril 2016, Philip Shaw

Cette semaine, j’ai commencé à semer mon maïs. Ouf! Il ne faisait pas chaud. Je sais bien que la croissance ne sera pas phénoménale pour l’instant, mais je préfère en profiter dès que les conditions du sol sont bonnes. Toutefois, mon travail dans le champ a été interrompu à plusieurs reprises en raison des précipitations. Vivement les températures plus chaudes; ça ne saurait tarder.

L’ensemencement de maïs aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce que c’était lorsque j’ai commencé ma carrière. Il fait peut-être froid cette semaine, mais mon tracteur est muni d’une radio satellite, d’une direction automatique et d’un système de chauffage (ou de climatisation, selon mes besoins du moment). À mes débuts en agriculture, je conduisais un tracteur avec une cabine ouverte et je gelais littéralement. Mais j’étais jeune et robuste et c’était bien suffisant. J’avais beaucoup de pain sur la planche et j’étais prêt à faire ce qu’il fallait pour effectuer les semailles. J’en ai toujours autant à faire aujourd’hui, mais je suis installé bien plus confortablement pour le faire. Et c’est aussi drôlement plus efficace.

Je me suis mis à réfléchir à tout ça dernièrement, en enclenchant ma direction automatique encore une fois. La productivité dans mes champs de maïs donne le ton à ma ferme. Elle est tellement plus intéressante que pour le soja. Le secret est de prendre les moyens pour que ça reste comme ça. Ce qui veut dire que je vais avoir recours à tout avantage possible pour améliorer les choses.

Pour bon nombre d’entre nous en agriculture, ça signifie de profiter des nouveautés en matière d’herbicides, d’engrais et de biotechnologie ou de toute autre innovation. Cependant, le chemin devient de plus en plus tortueux, surtout dans le contexte actuel où la société juge l’agriculture d’un œil différent. Par exemple, aujourd’hui, la chaîne de télévision Al Jazeera du Qatar a diffusé certaines de mes opinions à propos du glyphosate. Quelques ingrédients actifs du glyphosate ont été classés probablement cancérigènes pour les humains dans un rapport publié l’an dernier par des chercheurs affiliés à l’Organisation mondiale de la santé. Al Jazeera présentait une émission sur le sujet. J’ai donc twitté mon opinion.

Al Jazeera m’avait déjà contacté dans le passé alors ce n’était pas nouveau. Les chaînes de télévision sont toujours friandes d’agriculteurs prêts à partager leur point de vue, particulièrement lorsqu’il est question d’herbicides et de biotechnologie. J’avais mentionné que je cultivais du maïs génétiquement modifié de même que du soja non OGM et que j’utilisais une grande quantité de glyphosate. J’ai ajouté que je ne savais pas ce qu’il adviendrait du glyphosate, surtout à la lumière de la controverse entourant son potentiel cancérigène. Je ne suis pas un scientifique, je suis un économiste agricole et ça résumait bien ce que j’avais à dire sur le sujet. 

Il va de soi que le glyphosate fait l’objet d’un important débat dans le monde actuellement. J’avais eu vent de la polémique, mais je n’y avais pas accordé une grande importance. Toutefois, les commentaires présentés dans le cadre de l’émission d’Al Jazeera ont confirmé que le monde de l’agriculture devrait prendre la situation au sérieux. Je cultivais sans glyphosate à l’époque. Mais en 2016, faire de l’agriculture en pulvérisant mes champs de glyphosate à l’aide de mon superbe tracteur est tellement plus simple et agréable. Je crois même que ça rend les aliments moins chers à long terme. Bien sûr, j’entends d’ici la levée de boucliers. Et bien sûr, je continuerai d’appliquer mon 1 litre/acre d’herbicide sur mes champs ce printemps.

Aussi, je lis avec intérêt ce qui circule à propos de l’introduction de soja Roundup Ready Xtend aux États-Unis cette année. À l’heure actuelle, les agriculteurs américains peuvent en semer, mais ne peuvent y appliquer de dicamba en 2016. Les Européens n’ont pas encore approuvé son importation, donc certains terminaux américains n’en achèteront pas. Avez-vous cette impression qu’on a mis la charrue avant les bœufs? Je suis abasourdi de constater à quel point les géants des semences et des produits chimiques visant le monde agricole ignorent délibérément les utilisateurs finaux. Que les terminaux américains annoncent qu’ils n’achèteront pas ce soja en est la preuve.

Bref, le monde agricole est de plus en plus complexe, mais – et il s’agit d’un mais très important – l’apocalypse, ce n’est pas pour demain. Il y a 30 ans, quand je conduisais mon tracteur à cabine ouverte, les défis n’étaient pas moins nombreux. En fait, j’étais jeune et ces défis paraissaient insurmontables. Ces défis étaient peut-être différents, mais ils étaient bien réels. Actuellement, en 2016, les enjeux comme la perte du glyphosate ou l’accès au marché pour le soja tolérant au dicamba en Europe ne sont que des détails. Idem pour la folle interdiction des néonicotinoïdes en Ontario en 2016. Pour les agriculteurs, il y aura toujours des problèmes et des défis. Puis un jour nouveau se lève. Et ce jour nouveau sera peut-être même un peu plus chaud.

 


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